Le Grand Portrait : Marie-Laure Sauty De Chalon, CEO de aufeminin
Marie-Laure Sauty De Chalon, Aufeminin
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Le Grand Portrait : Marie-Laure Sauty De Chalon, CEO de aufeminin

Depuis que notre magazine propose en couverture des personnalités du marketing digital, j’ai systématiquement rencontré des hommes de mon milieu. Les codes étaient évidents et l’ambiance immédiatement détendue en mode Laurent Boyer chez Frequenstar. On se serre la main, on se tape dans le dos, on se tutoie, on parle du match de foot de la veille et on peut alors aisément glisser en mode actualités et confidences. Je pouvais alors réaliser un portrait, ponctué de références historiques voire de calembours particulièrement fins tout en sachant que l’interviewé serait finalement plutôt amusé ou tout au moins me le ferait croire, ce qui de mon point de vue est plus ou moins la même chose.

Il faut dire à ma décharge que le monde de la technologie publicitaire en France est avant tout dirigé par des hommes. Les générations se mélangent parce que la première, celle de la fin des années 90 et du début 2000 dont je fais partie, est aujourd’hui complétée ou remplacée par celle née schématiquement des années programmatique et mobile. Les énergies sont identiques, les problématiques également et les expériences des uns profitent aux autres, le tout dans une atmosphère particulièrement chaleureuse.

Ce serait mentir que de dire que ma rencontre avec Pierre Chappaz (Teads) par exemple fut immédiatement basée sous le signe de la complicité, mais comme notre entretien se déroula chez lui, dans son appartement, la glace fut immédiatement brisée et je ne fais absolument pas référence aux verres de vins que nous prîmes lors de notre déjeuner.

En ce début d’année 2018, nous avons donc pris chez Ratecard le parti de modifier quelque peu la donne et ce pour plusieurs raisons. Nous souhaitions tout d’abord en terminer avec cette hégémonie masculine. Le courrier des lecteurs et des lectrices allait régulièrement dans ce sens et comme nous aimons aussi satisfaire notre audience, nous avons pensé qu’inviter une femme de notre marché serait assez cohérent.

De plus, si nos confrères de Time ont décidé, sans nous demander notre avis, de choisir plusieurs personnalitées (avec un e à la fin parce que cette fois-ci c’est féminin) du mouvement #MeToo pour l’année 2017, c’est qu’il y avait probablement quelque chose à creuser de ce côté-là. La seconde raison est liée à ce monde des éditeurs que nous connaissons et que nous apprécions depuis très longtemps.

Grand Portrait Mag34, Marie-Laure Sauty de Chalon

Nous considérons Google et Facebook comme des outils incroyables mais pour les sujets qui nous intéressent vraiment, il nous paraît toujours évident d’écouter ou de consulter des experts.

La troisième enfin, c’est que nous avions envie de démarrer cette nouvelle année en prenant un peu de hauteur. Le programmatique c’est fantastique, la data c’est sympa, le mobile, pas du tout débile, mais comprendre un peu mieux les enjeux de notre marché publicitaire pour anticiper ce que seront les éditeurs de demain, voilà un sujet qui nous semblait différent et donc intéressant.

Je pris alors rendez-vous avec Marie-Laure Sauty de Chalon, CEO de Auféminin, qui répondait parfaitement au cahier des charges évoqué ci-dessus. Une femme à la tête d’un des plus grands éditeurs français dont le business model s’appuie systématiquement sur des innovations technologiques et marketing, que pouvais-je demander de mieux ? Nous nous sommes donc retrouvés dans les locaux de Auféminin, rue Saint-Fiacre à Paris. J’étais exceptionnellement quasiment à l’heure (11h05 pour 11h00) alors que Marie-Laure m’avait prévenu d’un léger retard. Elle arriva à 11h10 donc juste après moi.

Je souriais intérieurement du fait qu’en 2002, mon précédent rendez-vous un peu similaire avec un dirigeant de cette société, Marc-Antoine Dubanton en l’occurrence, s’était soldé par un retard de plus de deux heures. Le fondateur avait passé la nuit à développer Smart Adserver puis à mixer dans un club. Je me suis alors dit que les temps chez Auféminin avaient changé, mais pas tant que ça finalement comme vous le comprendrez j’espère dans les prochaines pages. L’entretien fut studieux autour d’échanges très détendus et fructueux.

L’ADN D’UNE SOCIÉTÉ EST QUELQUE CHOSE DE VITAL QU’IL NE FAUT PAS CHERCHER À CHANGER. IL FAUT MÊME AU CONTRAIRE NE JAMAIS CESSER D’EN TRAVAILLER LE CŒUR, DE COMPRENDRE À QUOI L’ON SERT

Je quittais alors les locaux en me demandant comment j’allais exploiter ce contenu très différent des précédents. L’opérationnel était très peu abordé, la vision était clairement présentée, bref j’avais conversé avec une vraie CEO. L’option la plus simple était de trouver un fil rouge, de dresser un portrait comme d’habitude et d’y ajouter les fameuses références Ratecard. Je commençais alors à rédiger dans ce sens. Les références à la marque de beauté NYX étaient estampillées basket-ball à New York, la Youtubeuse Sananas devenait la fidèle compagne de Diabolo dans les Fous du Volant, etc.

Et voilà comment sous prétexte de mettre ma patte plus ou moins fine dans un portrait, je massacrais un contenu particulièrement instructif. Le rythme était cassé et le propos finalement noyé. Je pris alors une décision qui ne me ressemble pas, à savoir me mettre en retrait. Quand on n’apporte pas de valeur ajoutée, il faut savoir accepter sa défaite. J’ai donc décidé de finalement reprendre le plus fidèlement possible les propos tenus par Marie-Laure au cours de notre entretien. Je n’ai bien évidemment pas pu m’empêcher d’écrire cette longue introduction sous prétexte de glisser un ou deux jeux de mots particulièrement brillants, mais sachez que dans les lignes suivantes, c’est Marie-Laure Sauty de Chalon qui s’exprime, pour de vrai, et c’est particulièrement intéressant.

Grand Portrait Mag34, Marie-Laure Sauty de Chalon

A ma sortie de Sciences-Po, je souhaite rentrer dans les médias mais je n’ai aucune connexion. Je démarre à la moitié du SMIC chez Atlas Eco, un supplément du Nouvel Obs qui propose par exemple l’analyse du PNB du Zimbabwe. C’était de la recherche et je trouvais ça vraiment passionnant. J’écrivais alors sous mon nom de jeune fille mais commercialisais les espaces sous mon nom de femme mariée. Je me suis posé assez vite la question du business model car lorsque l’on vend de la publicité, on doit nécessairement parler de son audience, et il me semblait évident que nos sujets n’intéressaient finalement pas grand monde.

Dans nos locaux, il y avait un petit escalier avec une porte en haut, et le soir, des “gars” avec des blousons et des gros sacs à dos l’empruntaient. Personnellement, j’adore les contes de fées, et il y avait un côté un peu Barbe Bleue. Au bout d’un moment, je me suis demandé ce qu’il s’y passait. Un soir, une fois que tout le monde était parti, j’ai découvert derrière cette porte ce monde que je ne soupçonnais pas alors que je croyais naïvement travailler pour un journal économique.

Derrière d’énormes écrans, les “gars” en questions tapaient : “Moi, Anna, 20 ans, gros seins.” Et tout à coup, tout s’éclaire. Nous avions un numéro de commission paritaire afin de pouvoir développer des activités internet, minitel en réalité puisque nous étions en 1986. Cela m’a complètement déniaisé sur ce secteur. J’ai tout de suite compris, pas nécessairement qu’on était obligés de parler de sexe pour réussir dans les médias, mais qu’il y avait des business models derrière qui faisaient tourner la machine. C’est ainsi que le groupe Nouvel Obs a été sauvé, grâce à 3615 ANNA. J’ai donc commencé par un tout petit bout de la lucarne mais j’ai alors découvert que la technologie était quelque chose d’essentiel.

Je suis alors allée dans des médias de plus en plus modernes, la presse quotidienne, la presse magazine, la télévision puis un peu grâce au hasard, le digital à partir de 1998. En effet, je travaillais alors dans une filiale de chez Carat qui portait un joli nom, Carat Prospective, et qui avait cette particularité de gérer de nombreux budgets technos, Canon, Microsoft, etc. Ces marques étaient déjà confrontées aux problématiques internet et elles nous auraient alors demandé comment nous pouvions les accompagner. Assez vite, Cécile Moulard crée Carat Multimedia, puis part chez Vivendi, et je prends donc la suite. Je me rends alors rapidement compte qu’un business model qui serait centré uniquement sur de l’achat d’espace, alors que les volumes sont microscopiques, ne pourrait jamais fonctionner même si les pourcentages étaient importants.

L’INTERNATIONAL, C’EST UNE RÉUSSITE INCROYABLE DE AUFÉMININ PUISQU’AUJOURD’HUI NOUS Y RÉALISONS 52% DE NOTRE CHIFFRE D’AFFAIRES

Nous croyons en cette opportunité du digital et son potentiel et nous décidons donc de partir aux Etats-Unis pour mieux comprendre les enjeux. Il nous apparaît alors évident que si l’on veut créer un véritable business dans le digital pour une agence, il faut entrer dans tous les métiers et aller au-delà de l’achat d’espaces, notamment dans le search pour que les clients soient bien référencés et dans la créa, parce qu’en l’absence de sites, il nous sera impossible d’essayer de leur vendre de la publicité. C’est comme cela que Aegis va construire son positionnement qui va très rapidement peser 30% de son chiffre d’affaires.

J’ai ensuite décidé que je ne voulais plus être dans un grand groupe de communication parce que lorsque vous montez dans la hiérarchie, vous ne consacrez plus votre temps au seul métier qui est réellement intéressant, la connaissance clients. II y a en effet quelque chose de très enrichissant et passionnant à s’occuper par exemple de SFR le matin, de Nivea l’après-midi puis de Lesieur le soir. J’avais perdu cette proximité et cela devenait très difficile.

Je passais alors mon temps dans les avions à régler des problèmes, ou à relever des compteurs. Le lundi, je devais être en Israël parce qu’un budget important était en risque, le mardi, j’étais à Milan parce qu’un manager risquait de nous quitter avec un compte clé, etc. Ce changement d’horizon, je voulais qu’il s’oriente vers quelque chose de différent autour d’un sujet de fond qui serait idéalement les femmes -parce que j’ai un peu mené une carrière d’homme- l’international, et bien évidemment le digital. Une carrière d’hommes.

J’AI UN PEU MENÉ UNE CARRIÈRE D’HOMME

Pourquoi cette remarque ? J’ai pu mener ma vie professionnelle de la façon dont je l’entendais. Ainsi, et même si c’est quelque chose de compliqué à dire de nos jours, j’ai par exemple eu mes enfants sans m’arrêter. Je ne me suis finalement jamais vraiment posé la question des choix et j’ai eu la chance aussi qu’on ne me la pose pas trop non plus. Mais une raison ou un exemple pour laquelle je me sens femme avant tout, c’est que pendant quinze ans, alors que j’étais chez Aegis présidente d’une société de plus de 5 000 salariés, personne ne m’a jamais proposé d’intégrer le moindre conseil d’administration.

Et tout à coup, les quotas sont arrivés. J’ai alors commencé à recevoir des offres de manière quasi hebdomadaire sous prétexte que j’étais une femme. Le sujet importait peu, mon expérience ne comptait pas ; c’est ma condition de femme qui était essentielle. Au début je refusais énergiquement car je me sentais humiliée. Puis, j’ai pensé que ma position était absurde car si l’on veut faire évoluer une situation, il faut impérativement être actif. J’ai alors choisi de jouer le jeu, mais uniquement sur des sujets qui m’intéressent.

La fonction d’administrateur chez LVMH, Carrefour ou Decaux est extrêmement enrichissante parce qu’elle permet de se confronter à des histoires différentes et d’apporter d’autres regards. Pour revenir à Auféminin, j’ai commencé cette aventure en 2010, à savoir deux ans après le rachat par Axel Springer. Cette acquisition avait été effectuée à un prix très élevé et il nous fallait donc nous développer extrêmement vite sous peine de faire face rapidement à de grosses difficultés. Nous devions composer avec la rigueur d’un groupe allemand et l’agilité d’une start-up.

Grand Portrait Mag34, Marie-Laure Sauty de Chalon

Nous étions alors un groupe coté avec une forte indépendance d’un point de vue stratégique car la présence de minoritaires obligeait notre actionnaire à ne pas nous traiter comme un département. L’exemple du développement international fut ainsi significatif. Le groupe Axel Springer souhaitait que l’on développe des versions de Auféminin dans toute l’Europe avec des versions croate, serbe, tchèque… Je m’y suis opposé car il n’existait aucun business model derrière. Pour notre part, nous souhaitions nous développer au Royaume-Uni via l’acquisition d’un média anglais et ce fut le cas en 2011 avec le rachat de Netmums.

L’international, c’est une réussite incroyable de Auféminin puisqu’aujourd’hui nous y réalisons 52% de notre chiffre d’affaires. En effet, très rapidement, les deux fondateurs, Anne-Sophie Pastel et Marc-Antoine Dubanton n’avaient pas hésité à aller à l’encontre de cette idée qu’il était nécessaire d’avoir des contenus locaux différenciés. En réalité, les femmes, nous nous intéressons toutes au même sujet et dès que la qualité initiale du contenu est présente, une traduction est suffisante.

Et voilà comment Auféminin a connu ce succès international en s’appuyant sur une richesse éditoriale, une armée de traducteurs et bien évidemment la technologie puis le référencement.

CHEZ AUFÉMININ, NOUS SOMMES “TECHNO FIRST” PARCE QU’À CHAQUE FOIS QUE NOUS AVONS FAIT FACE À UN CHALLENGE IMPORTANT, LA SOLUTION EST VENUE DE LA TECHNOLOGIE

A chaque fois que vous tapez quelque chose sur Google, un résultat associé à Auféminin ou Marmiton apparaît. Par ailleurs, le modèle était un peu binaire voire schizophrène. En effet, l’audience était effectuée sur les forums et les annonceurs, (nous sommes alors avant Facebook), ne voulaient pas être présents sur ces pages. Auféminin proposait ainsi en parallèle un magazine pour ressembler à de la presse.

Les marques pouvaient désormais être associées à la puissance de notre marqueen communiquant sur ces formats plus prestigieux. Vous aviez alors deux mondes parallèles, et il fallait s’assurer que les contenus que nous produisions étaient ceux qui allaient intéresser les femmes des forums, et que ces femmes des forums, nous leur proposions justement des contenus, textes ou vidéos, qui alimentent leurs conversations.

CETTE FONCTION D’ADMINISTRATEUR CHEZ LVMH, CARREFOUR OU DECAUX EST EXTRÊMEMENT ENRICHISSANTE PARCE QU’ELLE PERMET DE ME CONFRONTER À DES HISTOIRES DIFFÉRENTES ET QU’ELLE ALIMENTE MA CRÉATIVITÉ

L’ADN d’une société est quelque chose de vital qu’il ne faut pas chercher à changer. Il faut même au contraire ne jamais cesser d’en travailler le cœur, de comprendre à quoi l’on sert. Mais en même temps, pour avoir l’esprit créatif, il faut être incroyablement dans l’éveil de tout ce qui se fait ailleurs. Chez Auféminin, nous sommes “techno first” parce qu’à chaque fois que nous avons fait face à un challenge important, la solution est venue de la technologie. Toutes ces briques sont d’ailleurs construites en interne et c’est réellement une marque de fabrique du groupe car c’est également le cas pour toutes les sociétés que nous avons rachetées.

Est-ce une méfiance ? Est-ce l’envie de tout contrôler ? J’ai été hyper étonnée de cela quand je suis arrivée mais j’ai constaté que c’était l’ADN de la société et qu’il était impératif de le conserver. Dès que nous avons essayé de modifier cette donne en cherchant par exemple à intégrer des produits de l’extérieur, l’échec fut quasi-systématiquement au rendez-vous. Auféminin est une structure qui aime tout maîtriser parce qu’elle a le souvenir historique d’avoir été un pionnier, et quand vous avez été dans cette situation de précurseur, vous ne pouvez pas faire appel à des solutions qui existeraient en dehors.

LA PARTIE BROADCAST EST VRAIMENT INTÉRESSANTE PARCE QU’IL S’AGIT D’UNE PIÈCE CENTRALE DU DÉVELOPPEMENT DES ÉDITEURS DE DEMAIN

Est-ce que le rachat récent par TF1 peut avoir un impact sur cet ADN ? C’est tout l’enjeu de ce rapprochement. L’acquisition s’est faite très rapidement du fait que nous étions cotés et que toutes les informations étaient disponibles. J’ai reçu un premier coup de fil le 5 novembre du groupe Axel Springer pour nous annoncer qu’une offre avait été effectuée par TF1 et le closing eut lieu le 12 décembre. J’ai essayé de dire ce que je pensais même si ça ne servait pas à grand-chose. La partie broadcast est vraiment intéressante parce qu’il s’agit d’une pièce centrale du développement des éditeurs de demain. Il suffit de passer quelques temps en Californie pour s’entendre demander en quasi permanence quelles sont nos capacités en termes de broadcasting.

L’apport de TF1 est également évident pour la partie publicitaire puisque sa force de frappe nous permettra de mieux  négocier les grands contrats avec les gros annonceurs. J’étais plus sceptique dans deux autres domaines, à savoir l’international, qui comme je l’évoquais précédemment est la pierre angulaire du développement de Auféminin et aussi le développement de notre culture du risque digital. Les gens de TF1 l’ont parfaitement compris et c’est d’ailleurs pour cela qu’ils nous ont rachetés. Ce qu’il y a de certain, c’est que nous n’allons pas avoir le temps de la réflexion parce que le temps du business ne se déroule jamais comme cela. Le succès sera au rendez-vous si le moral, l’envie des équipes reste intact.

Grand Portrait Mag34, Marie-Laure Sauty de Chalon

Les salariés, dès lors que les groupes sont importants, ne s’identifient pas à une société. L’épanouissement et les résultats viennent d’un attachement à un produit ou un projet. Je suis convaincue qu’il faut faire extrêmement attention quand nous sommes un grand groupe car il en existe très peu aujourd’hui qui sont capable de créer de l’engagement. Auparavant, lorsqu’une société était rachetée, l’objectif était de la “mettre au carré”, alors que désormais, on souhaite la laisser comme la rose de SaintExupéry, la protéger et la laisser s’épanouir comme le fait le Petit Prince.

Ce sont au final les chiffres qui nous donneront raison. Ou pas. Quand je suis arrivée en 2009, nous réalisions environ 30M€ de chiffre d’affaires pour un EBITDA de 5M€. L’équipe était composée d’une centaine de salariés. Aujourd’hui, tout a été multiplié par quatre mais nous avons dû entre temps effectuer un changement de business model drastique du fait que notre dépendance à Google était bien trop forte.

Les changements d’algorithmes réguliers pouvaient en effet impacter en quelques jours notre audience de près de 40%. Nous étions donc comme un radeau sur une mer hyper agitée. De ce point de vue, le fait qu’il existe d’autres plateformes, d’autres sources, est d’un très grand confort. Vous pouvez ainsi développer une audience sur Facebook, sur Instagram, sur Pinterest, sur Snapchat, etc. Vous pouvez alors vous inquiéter, paniquer même parce que les internautes seront moins présents sur votre site et que vous pourrez donc moins monétiser votre inventaire publicitaire, ou au contraire vous dire que c’est l’opportunité de passer de 30 millions de visiteurs uniques à 500 millions de contacts.

Nos revenus se divisent aujourd’hui schématiquement en trois parts égales : programmatique, brand et social content, et e-commerce. La part publicitaire est en baisse. Nous avons ainsi connu une chute importante de nos revenus en display, quelque chose qui aurait pu nous être fatal. Nous avons alors rapidement fait le choix d’aller très fortement dans le programmatique en nous disant que ces publicités qui étaient achetées auparavant à 12€ du CPM continueraient de l’être, mais à 1€ du CPM.

NOS REVENUS SE DIVISENT AUJOURD’HUI SCHÉMATIQUEMENT EN TROIS PARTS ÉGALES : PROGRAMMATIQUE, BRAND ET SOCIAL CONTENT, ET E-COMMERCE

Nous avons ainsi racheté en 2015 une société aux EtatsUnis, Livingly Media, pour prendre de l’avance sur ces sujets et notamment ceux liés au RTB car suite à la vente de Smart, nous avions perdu en partie cette expertise. Nous avons aussi avancé très vite avec le Header Bidding avec rapidement un succès très important.

Le E-Commerce pèse aujourd’hui 35% et cette part est amenée à croître dans les années à venir. Nous proposons nos propres produits sous forme de box. Il s’agit de quelque chose que nous avions lancé suite au rachat de MyLittleParis en 2013. Nous l’avons désormais généralisé avec le lancement de trois autres box : Gambette Box avec deux collants par mois (un classique et un créatif) chez MyLittle, Gretel dans le domaine des graines chez Marmiton (10 000 abonnés), Beautiful Box dans le maquillage chez Auféminin (25 000 abonnés). Nous nous lançons également dans l’E-Shop puisque nous pouvons fabriquer par exemple une trousse de maquillage pour une marque que l’on fait endorser par un influenceur.

Le succès est immédiat et fulgurant puisque nous sommes systématiquement en rupture de stock au bout de 48 heures. Nous utilisons donc la force de nos médias moins pour leur monétisation que pour la vente des produits de notre groupe. La dynamique est extrêmement intéressante car elle crée un cercle vertueux : nous expérimentons pour nous-mêmes des dispositifs que nous pouvons proposer à d’autres marques. Nous sommes finalement revenus dans le métier d’agence.

Nous développons aussi le content marketing pour le compte d’annonceurs, à savoir un type de contenu qui aura son existence propre et par ailleurs une existence étendue en achetant des espaces sur Google, Outbrain, Taboola, etc. Nous avons pris du retard en Europe sur le brand content et notamment dans cette relation devenue clé avec les influenceurs. La communication connaît une évolution radicale autour de contenus de marques de très grande qualité et d’autres effectués par des influenceurs. L’exemple du succès du lancement de la marque FentyBeauty de Rihanna est tout simplement incroyable.

Cette opération casse tous les codes auxquels les marques étaient habitués, que cela soit dans le domaine du marketing, de la distribution, etc. Qui pouvait croire qu’en aussi peu de temps une marque puisse prendre une telle place sur ce marché de la beauté ?

Grand Portrait Mag34, Marie-Laure Sauty de Chalon

La youtubeuse Sananas évoque régulièrement dans ses vidéos son appétence pour Nyx, tout simplement parce qu’elle aime sincèrement cette marque. Et les ventes de Nyx suivent alors que la marque n’a pas rémunéré Sananas le moindre centime. L’influence marketing est réellement au cœur de nos problématiques et nous sommes persuadés qu’il s’agira d’un élément clé de notre croissance.

Ce qu’il va se passer avec les GAFA reste une question centrale, il s’agit même du sujet majeur que les publishers doivent traiter dans les années à venir. Aux Etats-Unis, ceux-ci ne sont pas vraiment inquiets. Tastemade par exemple, exporte 100% de ses contenus car son objectif n’est pas absolument pas de faire venir les gens sur son actif. La monétisation passe par le brand content en partant du principe que la clé se situe sur le partage et donc la vie de ses contenus, que cela soit sur YouTube, Snap ou autres.

L’essentiel est que cette vidéo soit vue, peu importe où. Bien évidemment qu’un Lindt par exemple devrait s’associer le plus possible à des contenus chocolat plutôt que de faire de la publicité. Cet enjeu, cette transformation, sont majeurs pour tous les éditeurs, et chez Auféminin nous ne sommes pas véritablement inquiets pour la suite, notre thème annuel est d’ailleurs No Fear.

LE MOTEUR DE MA CARRIÈRE, CE QUI ME PASSIONNE, C’EST DE METTRE LA CONTRAINTE AU MILIEU DE LA TABLE ET DE VOIR COMMENT ON LA CONTOURNE

Nous pensons que cela “chahute grave” pour employer une expression du moment, mais nous pensons qu’il s’agit d’un excellent levier pour avancer et progresser. Nos idées pour la suite viennent très souvent des Etats-Unis même si nous regardons toujours du côté de l’Asie et de la Chine en particulier. La Californie reste centrale, que cela soit du côté de San Francisco pour la technologie, mais aussi et même surtout nous concernant, de Los Angeles pour la partie contenu. C’est réellement là-bas que se construisent les nouveaux modèles qui feront les succès des publishers de demain.

Cette inspiration de créer des contenus associés à des lieux d’expérience vient typiquement de Los Angeles, c’est quelque chose qui nous a énormément impressionnés. Nous transformons ainsi nos locaux, notre maison comme nous l’avons effectué avec Mona pour MyLittleParis rue de Turenne. Ou chez aufeminin pour Noël. Notre objectif était de faire venir des influenceurs pour alors cuisiner ensemble, visiter une chambre, se faire photographier, s’inspirer etc.

En conclusion, je dirais que le moteur de ma carrière, ce qui me passionne, c’est de mettre la contrainte au milieu de la table et de voir comment on la contourne. Les problématiques actuelles sont complexes et qu’existe-t-il de plus intéressant que de réfléchir en équipe à des solutions et ensuite de les appliquer ?


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