Le grand portrait Ratecard commun : Ooyala, Rubicon Project, Quantcast
Les tribulations d’un français en Europe
On nous parle tous les jours de French Tech, ces sociétés aux accents plus ou moins technologiques et majoritairement françaises mais souvent financées par des fonds anglo-saxons. Elles sont également nombreuses dans notre secteur du marketing digital. Quand nous discutons par exemple avec Eulerian ou Weborama, elles insistent toujours sur cette dimension hexagonale dont elles sont non seulement fières mais qu’elles utilisent également comme argument commercial. Nous avons voulu connaître l’envers du décor, celui qui se trouve de l’autre côté du miroir sans tain, et avons ainsi interrogé trois managers dont le métier est de représenter une société venue d’outre Atlantique.
Goncourt, Forrest
Nous souhaitions en effet comprendre comment tout cela fonctionne, du recrutement au développement en passant par le reporting ou la comptabilité. FrédéricDumeny (Ooyala), Julien Gardès (Rubicon) et Franck Lewkowicz (Quantcast) nous ont donc retrouvés au restaurant Drouant, celui-là même où tous les ans la langue française est mise à l’honneur. C’est en effet dans les espaces privés de cette institution que se réunissent les jurys des prix littéraires. Nous avions alors réservé le salon Renaudot, après avoir hésité avec le Goncourt, beaucoup trop commercial à notre goût, et avons donc débattu. L’histoire que nous allons maintenant vous raconter est entièrement fausse, ou plus exactement, un peu comme Star Wars ou Indiana Jones, basée sur des faits réels. Toute ressemblance avec des personnages existants serait donc tout à fait fortuite. Notre héros nomme Jean Bled, mais sa hiérarchie a plutôt tendance à l’appeler Johnny Country même si cela sonne un peu roi de Nashville. Il faut dire que depuis plusieurs mois, Johnny est le Country Manager France de AdStars, l’une des sociétés made in California les plus en vues dans le secteur du marketing digital. Voilà donc son histoire, mais cela pourrait également être la vôtre.
« … vous serez sollicités régulièrementpour ouvrir les bureaux de la future éventuelle licorne … »
L’As des As
Pour être recruté par AdStars, vous devez avoir dans vos valises deux outils obligatoires en plus de votre slip et de votre brosse à dents : une expérience réussie de manager dans l’univers digital, parce que c’est votre passeport pour réussir rapidement à faire décoller le chiffre d’affaires, et bien évidemment être parfaitement fluent in english. Si deux cabinets de chasseur de têtes sont supposés proposer ce genre de services à Paris et faire donc l’intermédiaire, il faut bien comprendre que tout se passe à Londres. Si vous êtes déjà dans la place, préparer une réponse toute faite du type « être à l’écoute du marché fait partie de mon métier au même titre que m’assurer de l’approvisionnement en papier-toilette », parce que vous serez sollicités régulièrement pour ouvrir les bureaux de la future éventuelle licorne, qui en attendant ne serait pas opposé au fait que vous travailliez exclusivement à la commission histoire de voir si ça prend. Au final, soyez honnêtes, se faire draguer par des gens qui ont les moyens de leurs ambitions n’est jamais désagréable.
« … Une fois la barrière londonienne passée, il faut passer obligatoirement par la case Californie … »
Californication
Une fois la barrière londonienne passée, il faut passer obligatoirement par la case Californie. C’est alors que le jeu de rôle démarre véritablement parce que les deux parties doivent prendre une décision particulièrement impactante avec finalement peu d’éléments en main. Si AdStars ne cartonne pas en France, probablement qu’elle s’en remettra, mais attaquer les étapes des Alpes avec quelques minutes d’avance sur les grimpeurs n’a jamais fait de mal à personne. En ce qui vous concerne, vous aimez à penser qu’un échec pourrait finalement être transformé en une expérience méritante, mais soyons honnêtes le risque est grand. Si AdStars devenait après votre départ le nouveau Facebook, vous seriez inévitablement identifié comme étant celui qui aurait dû mais qui n’a pas. Si inversement AdStars terminait dans le caniveau, votre capacité d’analyse et d’anticipation pourrait alors être légitimement remise en cause. Vous allez donc devoir prouver votre motivation, démontrer vos compétences, tout en recueillant le maximum d’informations de type : existe-t-il vraiment un produit et une techno ? Les ingénieurs sont-ils tous réellement diplômés du MIT ? …
« … prendre une décision particulièrement impactante avec finalement peu d’éléments en main … »
London Calling
Ca y est, le choix a été fait. Vous avez tapé dans la main. Ça peut sonner un peu boyscout pré-pubère mais en attendant vous avez décidé de vous faire confiance. Vous vous demandez bien évidemment si vous ne faites pas la seconde plus grosse bêtise de votre vie. Autant pour la première, les avis de vos amis pouvaient avoir un intérêt vu qu’ils connaissaient votre bien-aimé(e) depuis quelque temps, autant leur avis sur le programmatique, vous pouvez et devez objectivement vous en passer. A partir de demain, vous allez donc vous retrouver à 9 heures de décalage horaire les uns des autres et il faudra donc trouver des solutions concrètes rapidement sans nécessairement attendre l’intervention de la cavalerie. Vous apprendrez même avec le temps à ne contacter le sheriff qu’avec discernement pour justement éviter de vous faire remarquer comme étant « celui qui a besoin en permanence d’un coup de main. » Soyons honnêtes, vous pouvez aussi passer par Londres en cas de pépin puisque de nos jours, l’invasion du continent européen se planifie régulièrement depuis les terres de nos meilleurs ennemis. Cependant, qui a vraiment envie d’être dans l’obligation de passer un coup de fil qui commence par +44 pour appeler à l’aide? Il faudra donc vous en passer et partir du principe que tout devrait tourner.
Trois hommes et un couffin
Le retour à la maison est fait. Et j’espère que votre maison, c’est un endroit que vous appréciez parce que vous allez y passer pas mal de temps rapport au fait que votre salon va devenir votre bureau et que la chambre des enfants restera la chambre des enfants avec toutes les joies et autres facéties d’usage à partir de 16h30, puisque comme vous êtes à la maison, vous devriez avoir le temps d’aller les chercher à l’école. C’est alors que vous vous rendez également compte que vos emails envoyés à l’équipe produit basée aux US doivent tous attendre un minimum de 24h pour obtenir une réponse. Vous décidez alors de commencer à travailler la nuit. Vos conférences téléphoniques sont organisées à 2h du matin, et soyez honnêtes, vous sentez pointer une certaine excitation. Vous expliquez bien évidemment à votre promis(e) que se lever comme ça en pleine nuit est un véritable cauchemar, mais en attendant, se retrouver seul, au calme, au milieu de la nuit, chez soi, sans biberon ou couche à changer, ça vous rend super sérieux, limite fier.
Le Professionnel
C’est alors que vous vous penchez sur les contrats et pour commencer, le vôtre. Evidemment, les lois sur le travail en France présentent un peu plus de contraintes qu’outre- Atlantique… Allô San Francisco, qu’avez-vous prévu pour la mutuelle et les tickets-restaurants ? Vous avez alors deux options : leur expliquer pendant des heures comment ça fonctionne sachant que vous n’y connaissez finalement pas grand-chose et que vous allez réussir à les énerver. Ou bien faire, régler le problème, trouver une solution et alors expliquer comment vous avez fait histoire de bien clarifier la situation tout en expliquant que ce n’était pas vraiment sur votre fiche de poste. La vraie bonne nouvelle par contre, c’est que vous n’oublierez jamais de prendre une facture pour vos frais classiques mais aussi pour tout ce qui fera finalement fonctionner votre structure. Pourquoi ? Parce que c’est vous qui allez tout payer de votre poche avant de vous faire rembourser bien évidemment.
« … vous décidez alors de commencer à travailler la nuit. Vos conférences téléphoniques sont organisées à 2h du matin … »
Huggy les bons tuyaux
La boutique commence désormais à bien tourner, et votre boss, Malcolm McBusiness, a décidé de venir faire un tour à Paris. Vos contacts avec lui sont finalement assez peu fréquents puisque tout le monde part du principe que tant que ça fonctionne bien, ce n’est pas la peine d’en rajouter. C’est effectivement bien connu qu’un peu d’encouragement voire de la reconnaissance risquerait d’installer trop de pression. Imaginez par exemple la tête de votre moitié si vous commenciez à lui dire des mots gentils ou à lui offrir des fleurs, la suspicion serait alors de mise. A ce propos, Malcolm McBusiness vous a demandé une adresse pour un bon hôtel à Paris, vu qu’étant parisien vous même, vous connaissez bien évidemment toutes les bonnes adresses où dormir. C’est dommage parce que pour des tuyaux sur Londres, San Francisco ou Palavas-les-Flots, c’était sans souci. Voilà maintenant que Mister McBusiness veut rencontrer des clients ou des prospects chauds histoire de vous aider un peu. Et voilà qu’au lieu d’être en train de faire tourner la boutique vous vous retrouvez à faire le guide! Mais vous ne vous plaignez pas, parce que le reste du temps, l’autonomie est franchement appréciable.
Festival à Cannes
Ce sont désormais tous les pontes de la société qui sont présents à Paris pour le Quarter Business Report. Celui-ci est organisé dans un luxueux hôtel où comme par hasard les femmes de chambres sont en grève. Elles ont même décidé de passer en phase bruyante pour leur manifestation. La direction de l’hôtel vous propose alors gentiment de continuer votre réunion dans le Night Club de l’hôtel, qui comme de juste est particulièrement bien insonorisé. A parte technique : eh oui quelque chose d’insonorisé l’est forcément dans les deux sens. Ce sera donc au milieu des boules à facettes que les différents chiffres de la société seront analysés. Malcolm Mc Business en profite pour signaler que cette petite aventure lui rappelle le blocus de Cannes par les taxis au moment des Lions en 2015. Tout le monde rigole sauf vous même si vous aimez à vous souvenir de la phrase du barman du Martinez à Cannes : « nous vendons cette semaine-là plus de bouteilles de rosé que tout le reste de l’année ». En attendant, il est aussi décidé que ce type de meetings n’aura plus jamais lieu à Paris et que de toute façon, faire des affaires en France c’est quand même beaucoup trop compliqué. Soupirs. Vous notez aussi sur votre petit calepin : ne pas promettre de chiffres trop haut pour le trimestre suivant, histoire d’être certain d’exploser les objectifs.
« … l’autonomie est franchement appréciable … »
Final Countdown
Ils sont enfin partis et vous êtes à nouveau seul face à vos soucis logistiques du jour. C’est alors que vous vous décidez à digérer la bonne nouvelle du jour, vous êtes promu. Depuis le début de votre aventure, vos responsabilités étaient nationales, elles seront désormais sudistes, en théorie. Il faut dire en effet que la définition de l’Europe du Sud quand on se place d’un point de vue américain est pour le moins originale. Certains se sont pris des bulles en géographie pour moins que cela. Si l’on peut dire que la Belgique est effectivement située au sud des Pays-Bas, il est peut-être néanmoins excessif de la situer en Europe méridionale. Que dire alors de Dubaï, d’Israël ou même de l’Afrique du Sud tant qu’on y est, région bien pratique, ceci étant pour son décalage horaire quasi inexistant. A propos, ils ont des tickets-restaurants en Grèce ? Une mutuelle au Portugal ?
Walk the line
Mais au final, quand vous y pensez le soir avant de vous coucher, vous vous dites que vous êtes quand même pas mal du tout. Le choix fut stressant, les relations parfois complexes mais le résultat est largement satisfaisant. Vous êtes devenu Johnny Country, pas vraiment Johnny Cash, mais vous êtes loin de vous plaindre. Les surprises ne manquent pas et les perspectives sont encourageantes. Il faut bien se l’avouer, vous êtes heureux dans votre travail. Il ne faudrait peut-être pas non plus trop le crier sur les toits, parce que c’est quand même plutôt agréable de pouvoir se plaindre à la maison histoire de négocier un peu de réconfort, surtout quand tout va bien…
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