Digital for Bastards : Château d’eau, l’inventaire média web et la crise financière de 2007
Par Victor Roux
Salut l’ancien,
Un inventaire média, ça sonne quelques cloches là-haut ?
C’est important d’en parler. D’une certaine manière c’est le nerf de la guerre pour une belle majorité des acteurs de l’ad tech.
Tu sais, j’ai rapidement compris quelque chose dans ce métier. Pour parler digital avec un être humain normalement constitué (comprendre non geekos), c’est pas si débile que ça de rattacher ton message à quelque chose de tangible.
Quelque chose que cet être humain peut être amené à côtoyer dans sa vie de tous les jours.
C’est un peu le chemin qu’on va prendre aujourd’hui.
Du coup dans un premier temps, je vais avoir besoin que tu penses à une station de métro. Disons Château d’eau, sur la ligne 4 à Paris.
Allez, avance un peu dans la station. Valide ton ticket, descend les marches et surtout, refuse les avances du coiffeur / vendeur de maïs à la sauvette.
Fais quelques pas sur le quai. Voilà tu y es. Reste là, debout, digne.
Maintenant, calmement, regarde autour de toi. Et raconte moi, qu’est-ce que tu vois ?
Entre le distributeur Selecta qui délivre canettes de soda chaudes et barres de Twix fondantes, et le règlement intérieur de la RATP honteusement tagué par les révolutionnaires de Nuit Debout.
Exactement, on y est. Cet énorme panneau publicitaire. Et en effet, il y en a plus d’un. A Château d’eau il y en a dix au total.
Dix énormes espaces publicitaires, éparpillés aux 4 coins de la station et de tailles différentes.
Et bien ça l’ancien, on va admettre qu’il s’agit de l’inventaire média de Château d’eau. Tout simplement. Un ensemble d’espaces publicitaires.
L’idée maintenant, c’est de comprendre que ces espaces publicitaires peuvent être proposés ou utilisés par différents acteurs du marché.
Ils peuvent être exploités par la station elle même, peut-être par une régie qui aurait la gestion des espaces de plusieurs stations. Peut-être même par la RATP qui gérerait tous les espaces publicitaires de toutes les stations. Ou encore par une entreprise qui promettrait à ses clients annonceurs de les afficher sur les meilleurs espaces des meilleures stations.
Bon, tu sais que je boss dans le digital l’ancien.
Oui. Les sites web, les iphone, Uber, tout ça tout ça. En fait non, pas vraiment. Mais à quoi bon vieil aigri, tu ne ferais pas la différence de toute les façons, pas vrai ?
En fait pour faire simple, un inventaire média sur internet c’est exactement la même chose.
Sur plus ou moins chaque site internet, tu as des espaces réservés à l’affichage de bannières ou liens publicitaires.
Comme à Château d’eau, tu peux rencontrer pleins de formats différents. Comme à Château d’eau, ces espaces peuvent être gérés ou exploités par des acteurs différents.
Maintenant, l’intérêt pour l’éditeur (aka propriétaire du site internet) c’est bien sûr d’en tirer le meilleur prix. Pour être plus précis, ce sont en fait les impressions générées sur ces espaces qui sont vendues. Par gros pack de 1000 unités en général. Des grossistes les mecs.
Alors, comment qu’on fait pour calculer le prix de cet inventaire média web ?
Pour allez vite, tu as des sites et des espaces plus ou moins premium. C’est déjà une variable assez impactante. Le site du Monde et celui du Gorafi c’est pas vraiment le même combat.
Ensuite, quand tu veux acheter des impressions, tu as accès à une certaine
« catégorisation » des espaces.
Du coup il y a de fortes chances que Heineken soit prêt à payer plus cher ses pub sur L’Equipe plutôt que sur un forum de discussions pour femmes enceintes. Oui, c’est complètement misogyne. Mais au moins comme ça tu percutes.
Aujourd’hui on va même encore plus loin en incluant l’internaute lui même dans la définition du prix.
Combien es-tu prêt à payer pour montrer ta bannière à ce mec de 45 piges qui aime le Squash, sur un article de la section sport du Figaro. C’est le genre de question qu’on est capable de se poser aujourd’hui pour fixer le prix d’une impression.
J’aurais presque envie d’aiguiser ta curiosité en précisant qu’on est capable de réaliser ces opérations de « trading » (yes my dear) en temps réel et en impliquant une multitude d’acteurs ! Mais on risquerait de rentrer dans des explications un peu techniques et ce n’est pas l’objectif pour l’instant.
Bon c’est bien joli tout ça, mais le titre mentionnait aussi la dernière crise financière et il y a une chance sur deux que tu aies cliqué pour voir si le mec n’avait pas juste… complètement pété un plomb.
Donc en effet, je me risque à tenter la comparaison entre inventaire média web et crise des subprimes.
Allez, petit kiff : aux origines de la dernière crise économique tu avais une crise financière, aux alentours de 2007.
Et aux origines de la crise financière… les dérives d’un petit montage financier qu’on appelle titrisation.
La titrisation c’est un peu le phénomène de l’oeuf pourri. Tu achètes une boite de douze au prix de 4€50. Tu t’attends à ce que tes 12 oeufs aient la même gueule/ qualité. Donc que chaque unité aie la même valeur.
Mauvaise nouvelle, dans cette magnifique boite de douze se cachaient en réalité 2 oeufs pourris. Ah. Coup dur. Le caissier d’Auchan n’y peut rien mais tu l’as quand même un peu verte. En fait, le prix de ta boite aurait du être calculé sur la base de dix oeufs et non douze.
En finance, la titrisation c’est une technique qui rend possible la constitution de
« paquets » d’actifs. Tu composes ton paquet avec plein de trucs et à la fin tu calcules un prix global pour le paquet. Une note en réalité.
Maintenant, assieds-toi dans le siège d’un broker. Le mec a un portefeuille avec des actions plus ou moins sexy, qu’il doit vendre.
Essaye de vendre une action pourrie. Compliqué. Elle vaut que dalle et on le sait. On la voit.
Plonge ton action pourrie dans un lot de 500 actions de bonne qualité. Vends le pack. BOUYA! L’action a disparue, perdue au milieu de ses cousines un peu plus jolies qu’elle.
Et en plus virtuellement son prix aura grimpé automatiquement. Car c’est la valeur moyenne du paquet qui est calculée au bout du compte.
Dans un contexte où une grande partie des produits échangés sur les marchés financiers le sont via du trading à haute fréquence (comprendre opération achat/vente en quelques millisecondes), tu commences à apercevoir à quel point il devient compliqué de garder de la visibilité sur la vraie valeur de ce que tu achètes.
Tout ça pour dire qu’une des causes de la crise financière de 2007, c’est une perte de vue à grande échelle de la valeur réelle d’un bidule que tout le monde achetait.
Le parallèle que j’essaye de faire est le suivant. Sur la marché de la publicité, la part des dépenses accordées au canaux digitaux grimpe chaque année. On multiplie les paquets d’impressions achetés.
Et en fait en y regardant de plus près on y retrouve quelques fantômes de la titrisation.
Le volume acheté, la composition de « paquets », et le manque de visibilité sur chaque unité qui compose ce paquet.
Rajoute à ça la tendance à l’automatisation en temps réel des opérations d’achat et de vente des espaces publicitaires, et on retrouve cette 4ème qu’on avait appelée trading à haute fréquence.
Je m’autorise cette comparaison pour une raison finalement assez agréable.
Dans le secteur de la publicité en ligne on commence à avoir la bonne habitude de parler performance. On parle performance et donc on se donne les moyens techniques de la mesurer.
Le résultat ? Et bien -entre autre- on finit par identifier que l’inventaire média souffre d’un manque de visibilité sur la valeur unitaire de ses espaces. On achète du volume, ces fameux paquets de 1000 impressions.
Et pour les raisons listées un peu plus haut, c’est en réalité très compliqué de descendre en granularité dans la qualification des espaces.
Au final, tu payes tes impressions à partir du moment où elles sont chargées sur une page web. Mais est-ce que le mec qui passe sur le site et qui lit son article en diagonale a réellement vu ta publicité ?
Au-delà de la visibilité de ces espaces publicitaires, il y a de gros enjeux sur la détection d’emplacements qui sont carrément frauduleux.
C’est juste un exemple, mais tu as des mecs qui sont capables de simuler des espaces publicitaires derrière ceux qui sont effectivement visibles par l’internaute. Ouep, effet lasagnes. Sauf que tu payes quand même.
Bon, toutes proportions gardées, je n’irai bien évidemment pas jusqu’à dire qu’il y a ou aura une crise de l’inventaire média. D’ailleurs il semblerait qu’en France nous ayons un des inventaires les plus « propres ».
Par contre l’ancien va falloir te mettre à la page et fissa, parce que cette problématique lève pas mal de sujets sympas sur la qualification de l’inventaire média, la détection de l’ad fraud, ou encore la qualification pré-bid dans l’achat média.
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