Interviewé : Grégory Gazagne, directeur général de Criteo pour l'Europe du Sud et l'Amérique latine.
Ratecard : En 2011, les Ad Exchanges ont constitué LE phénomène dont tout le marché a parlé. Après la découverte, la consolidation ?
Grégory Gazagne : En ce qui concerne Criteo, tout a commencé bien avant, en 2010. C'est à cette époque que nous avons testé pour la première fois la plateforme de Google avec des achats en RTB. Et nous avons été convaincus puisqu'en 2011, Criteo est devenu un des plus importants acheteurs au monde sur les ad exchanges en temps réel. Plus généralement, 2011, pour le marché, c'est la découverte des ad exchanges, mais seulement 4% des budgets display sont investis de cette manière. D'ici la fin 2012, la grande majorité des éditeurs aura testé le RTB, et se sera fait une idée des bénéfices.
Côté technologies en revanche, la consolidation a déjà eu lieu dans la mesure où des sociétés comme Google et Appnexus dominent le marché. Si une nouvelle plateforme arrivait aujourd'hui avec quelque chose de très différenciant, elle pourrait prendre quelques parts de marché, mais ça n'aurait pas beaucoup d'impact sur la structure existante. Côté achat, c'est plus complexe. De notre point de vue, les DSP proposent une technologie centrée sur l’optimisation des achats et non sur la performance. Comme il y a peu d’effort faits sur l'optimisation, le seul moyen de faire en sorte que les campagnes fonctionnent, c'est d'acheter moins cher. Avec une politique de baisse des prix, on va augmenter la performance des campagnes des clients à court terme mais on ne va pas augmenter la valeur apportée aux éditeurs. L'écosystème ne fonctionne pas encore de façon vertueuse. Criteo change cet écosystème puisque notre technologie est fondée sur l’augmentation de la performance des campagnes clients (amélioration des taux de clic et de conversion). Les clients s’y retrouvent et paient donc des CPC plus élevés, ce qui nous permet de rémunérer les éditeurs à la hauteur de leurs attentes. Pour illustrer la finesse de notre technologie de RTB, nous sommes en mesure, chez Criteo, de proposer une enchère différente sur chaque requête qui nous est adressée (et nous recevons 6 milliards de requêtes en temps réel par jour), ce qui n'est pas le cas d’autres sociétés qui proposent de l’achat en RTB
RC : Pourquoi acheter via les plateformes d'ad exchange ? Est-ce que cela convient à tout le monde ?
GG : Cela répond surtout à des objectifs de performance, en tout cas aujourd'hui. Trois-quarts des achats faits sur les ad exchanges en temps réel sont faits par des sociétés de retargeting ou de display performance. Mais passer par des ad exchanges peut tout à fait convenir à des régies plus classiques, ne serait-ce que pour des questions d'automatisation : on arrête les ordres d’insertion, cela se fait directement dans les outils, on gagne en efficacité, en temps, en humain, même si ce n'est pas le meilleur moyen de tirer partie du potentiel du RTB. Finalement, les ad exchanges sont en train de devenir des adservers : on peut segmenter les campagnes, faire des private ad exchanges, adresser un nombre d'impressions spécifiques à un prix donné, etc. D'ailleurs, de plus en plus d'adservers permettent de se connecter aux plateformes et d'acheter en RTB.
RC : Le prolifération des acteurs et la difficulté de savoir qui propose quoi ne risquent-elles pas d'effrayer les annonceurs ?
GG : On peut expliquer de manière assez simple aux annonceurs comment fonctionne l'écosystème. Mais il est tout de même compliqué pour eux de s'y retrouver à cause de la multiplication des acteurs (DSP, SSP, Trading desks…). Il doivent bien avoir en tête que ce qui compte, c'est la technologie et sa capacité à travailler en « user centric » et donc de gérer des bids différents à chaque impression, des créations adaptées à chaque utilisateur, des recommandations produit faites pour proposer le meilleur produit à la bonne personne, des optimisations en temps réel. Et pour vérifier cela, outre l'argumentaire commercial, il y a surtout le test. Le seul conseil que l'on puisse donner aux acheteurs est de tester différentes solutions et ensuite, de choisir la meilleure, pour pouvoir optimiser la totalité des campagnes. Chez Criteo 70% de nos clients sont en budget ouvert ce qui est l’une des meilleures preuves de notre efficacité.
RC : Comment va évoluer cet écosystème ad exchange à l'avenir ?
GG : On s'achemine lentement vers la création d'un « NASDAQ media », qui ne concernera pas uniquement Internet. Demain, sous réserve d'avoir les mêmes spécifications techniques sur tous les sites, on va pouvoir acheter les inventaires en temps réel, quel que soit le support. Les ad exchanges sont adaptables à la vidéo, aux formats IAB mais aussi à la TV ou la radio. Puisque tout se numérise, à terme, on va pouvoir mettre tous les écrans aux enchères. En revanche, les opérations spéciales et les formats sur-mesure ne passeront jamais, à mon sens, par les ad exchanges. Le RTB répond à la norme. L'exception, le sur-mesure, continuera d'être géré en direct.
RC : Quelle est la place de Criteo dans l'écosystème Ad Exchange ?
GG : Nous sommes à la fois présents dans l'écosystème ad exchange et en dehors. Ce qui est déjà un élément de différenciation puisqu'il y a certaines sociétés qui ne sont présentes que dans un des deux univers, ce qui limite leur volume. Criteo est aujourd'hui un des plus gros acheteurs au monde sur les ad exchanges en temps réel. Nous sommes présents dans 33 pays, connectés à une douzaine de plateformes ad exchange, avec des bids différenciés sur 6 milliards de requêtes par jour. Notre positionnement est unique, précurseur et nous optimisons nos outils toutes les semaines afin de pouvoir continuer à avoir la meilleure technologie d'optimisation pour le bénéfice de nos clients. Nous avons un socle technologique très important. Quand Criteo investit, c'est d'abord en R&D, en data centers et en adservers, c'est-à-dire tous les outils indispensables au traitement de la data et qui nous permettent de la récupérer, de l'analyser, et de répondre, dans les temps, aux requêtes qui nous sont faites. Sur 6 milliards de requêtes par jour, 97 % sont gérées dans les temps : il nous faut 6 millisecondes pour créer une bannière personnalisée, puis le temps de répondre avec le nom de l'annonceur, l'URL, les produits, le prix, nous parvenons à un total de 100 millisecondes. Un de nos atouts réside aussi dans notre algorithme de recommandations qui fonctionne extrêmement bien puisqu’aujourd'hui, sur 100 produits achetés, il y en a 78 qui le sont sur des recommandations de Criteo et n'ont jamais été vus au préalable par l'utilisateur. Quant à la data que nous récupérons, elle est cloisonnée et utilisée uniquement au bénéfice de nos clients, et non diffusée.
RC : Quelle technologie utilisez-vous ?
GG : La nôtre, tout simplement ! Criteo a développé sa propre technologie en partant du constat que, sur le marché, il n'y avait pas de technologie suffisamment performante par rapport à ce que l'on souhaitait faire. Il y a d'ailleurs une vraie différence entre notre technologie et les DSP génériques utilisés par le marché. Notre objectif est d'abord de travailler sur l'augmentation des taux de clics et la performance des campagnes, plutôt que de jouer sur l'aspect prix. C'est tout le point essentiel : nous possédons un bidding tool unique qui apporte une vraie valeur ajoutée au niveau de la performance que ne proposent pas des bidding tools classsiques. La performance est réellement notre maître mot. D'ailleurs, nos clients nous jugent sur notre capacité à générer du volume, via les plateformes d'ad exchanges et les achats éditeurs (on touche 95% de la population internaute), et sur notre réponse aux objectifs de coûts d'acquisition. Criteo est une société qui fonctionne et « performe » comme le search.
RC : Diriez-vous qu'il est plus facile de se positionner sur ce marché en tant que régie à la performance qu'en tant que régie classique ?
GG : A l'ère de l'audience selling, on cherche à être centré sur l'utilisateur, à le suivre et à lui apporter ce qu'il recherche : les sociétés à la performance y parviennent mieux que les régies classiques pour une simple raison : elles ont beaucoup d'avance. Cela fait sept ans que Criteo développe ses algorithmes et les améliore. Il y a donc une barrière à l'entrée qui aujourd'hui est assez importante pour pouvoir faire fonctionner des campagnes à la performance de manière optimale. Qu'il s'agisse des régies, des agences ou des annonceurs, beaucoup de gens se positionnent sur le RTB, mais au final, il y a peu d'élus car cela demande beaucoup d'investissement en R&D, en data centers, ad servers. Et Criteo, en trois ans de RTB, a beaucoup appris. Nous sommes devenus une plateforme technologique, au même titre que Google ou Facebook, et les ad exchanges nous ont permis de nous développer très rapidement dans le monde. Par ailleurs, comme une régie plus classique, nous avons des relations très proches avec les gros éditeurs locaux car au final, sur l'ad exchange, le volume d'inventaires est encore limité, et quand on veut générer du volume, il faut chercher de l'inventaire ailleurs.
RC : Avez-vous des retours d'expérience côté acheteurs ?
GG : Je ne peux pas répondre directement. Ce que nos clients jugent au fond, c'est notre capacité à atteindre leurs objectifs de rentabilité. Qu'on achète sur les ad exchanges ou pas, cela ne change rien pour eux. Ils nous le demandent parfois, car c'est un effet de mode, tout le monde en parle, et que c'est tout de même efficace. Cela dit, à partir du moment où on atteint l'objectif de rentabilité du client et que l'on génère des volumes conséquents, peu importe le mode d'achat. Ce qui compte, c'est la performance post-clic que l'on va obtenir, les ventes générées après un clic sur le site de l'annonceur et qui proviennent de Criteo.
RC : Quels sont les écueils à éviter ? Les best practices à mettre en avant ?
GG : Il faut faire très attention à deux choses : la qualité des inventaires proposés sur les plateformes et la brand safety. Chez Criteo, nous avons mis en place un système de white listing : on choisit les sites sur lesquels on veut être diffusés a priori. On a également noué un partenariat avec DoubleVerify, la société leader dans le monde en termes de brand safety, qui analyse les URL et le contenu des sites en temps réel. Cela nous permet, en temps réel, de prendre la décision de diffuser ou non nos bannières sur un site, et d'éviter de recevoir un rapport a posteriori nous indiquant qu'on a été diffusés sur des sites illégaux. Le mal serait déjà fait. Avec DoubleVerify (qui se lance en France en juin), on va pouvoir décider à un instant T si on veut prendre l'impression ou pas, et la refuser si on a un doute sur le contenu et l'URL du site. Aujourd'hui, sur les ad exchanges, il y a beaucoup de sites peu recommandables. La prise en compte de la sécurité de la marque ajoute une touche de complexité dans la gestion des campagnes, car on a aussi besoin de gens possédant une technologie ou un système de sélection des supports qui soient fiables.
RC : Votre présence sur le marché des ad exchanges a-t-elle vocation à s'intensifier ?
GG : Elle va surtout dépendre de deux choses. D'abord de l'inventaire disponible, car nous avons des objectifs de volume, mais aussi et surtout, des pratiques du marché. Aujourd'hui ces pratiques ne sont pas tout à fait claires et transparentes. Ce n'est en effet pas toujours l'enchère la plus haute qui gagne à un centime de plus. La transparence sur la manière dont sont déterminés les prix est très importante, et ce que Criteo demande, c'est la mise en place d'un floor price qui soit identique pour tout le monde, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Il faut créer un cercle vertueux : avec une réelle transparence dans la manière dont sont déterminés les prix et des floor prices identiques, avec, en d'autres termes, l'idée que le meilleur gagne. On est alors capable de maximiser la valeur pour nos clients, qui eux-mêmes sont en budget ouvert, qui vont dépenser plus d'argent car leur performance sera plus élevée, qui monteront leurs enchères aux CPC, donc on montera les CPM pour acheter plus de volume. Cela demande de la déontologie de la part des ad exchanges, car si ce n'est pas le cas, on va réduire les bids, donc la valeur, et au final, pour les éditeurs, il sera plus intéressant de revenir sur un modèle classique en direct. Les plateformes ont la responsabilité de garantir des pratiques saines au niveau de la détermination des prix et les floor prices.
RC : Le mot de la fin ?
GG : Si vous voulez que votre display fonctionne aussi bien que le search, venez chez Criteo.