Interviewée : Camille Dupré, Sales Director France.
Ratecard : Les dépenses publicitaires sur les formats vidéo sont encore marginales en France (moins de 3% des investissements) : à votre avis, quel est le potentiel de croissance de ce marché ?
Camille Dupré : En France, le marché va probablement atteindre des taux de croissance à deux chiffres. A condition bien sûr que l'on prenne la mesure de tout le potentiel de la vidéo. Pour l'instant nous n'en sommes qu'aux prémices : seule la transposition du modèle TV au web est exploitée. Or le boom du marché sera réel quand on adaptera vraiment la vidéo aux possibilités du digital. Car faire une campagne vidéo ne consiste pas seulement à diffuser en masse un format déjà exploité en TV ; cela implique de prendre en compte le potentiel social et viral du format, son potentiel créatif et interactif ainsi que les particularités de l'audience digitale. Aujourd'hui, le marché pense ses campagnes en partant des créations disponibles. Alors qu'il faudrait faire l'inverse et partir des objectifs de campagne pour réaliser des créations. Chez Tribal, on a constaté que certains annonceurs regardent d'abord ce qu'on leur propose comme formats afin d'adapter la vidéo prévue pour la campagne au format choisi et le rendre plus interactif. Ils sortent de la logique « on diffuse de la vidéo » pour entrer dans la logique « que puis-je faire avec ma vidéo pour faire quelque chose qui a un sens ?». Et voilà bien la clé du futur.
RC : Le format vidéo est-il adapté à tous les annonceurs ?
CD : Oui à partir du moment où un annonceur cherche à travailler son image, sa notoriété et son efficacité à travers des métriques qu'il choisit. Dans ce cadre-là, la vidéo est le format le plus efficace et celui qui crée une réelle adhésion au message, autrement dit qui génère de l'intérêt et donne au consommateur l’envie d’agir, d’acheter. Avec un bémol toutefois : tous les annonceurs n'ont pas des budgets gigantesques et l'accès à la création vidéo n'est pas encore évident. Ceci dit, à partir d'un contenu vidéo simple, orienté produit, on peut tout de même rendre le format plus efficace et impactant. Et si l'image et la notoriété sont essentielles, il ne faut jamais perdre de vue la question de l'efficacité d'une campagne. Quelle que soit la campagne, la notion de performance est toujours centrale. Si Tribal Fusion est actif sur ce format de publicité, c’est simplement parce qu’il est (comme les autres) indissociable d’une certaine notion de performance pour l’annonceur. J’insiste, la capacité de diffusion ne suffit pas, on ne peut pas se contenter de mesurer par rapport à la TV, il faut répondre à des objectifs « business » dans tous les cas et être complémentaire de la TV !
RC : Le pré-roll va-t-il rester le format dominant du marché ? Est-il le plus efficace ?
CD : A court terme, il va rester le format dominant car il représente la transposition du modèle TV sur le digital et il permet facilement d'amener un annonceur à utiliser des ressources vidéo. Si le pré-roll s’adapte en créativité, en capacité d’interaction et en diffusion plus ciblée et moins répétitive, alors il a encore de beaux jours devant lui. S'il demeure ce qu'il est en majorité aujourd'hui, à savoir un format qui implique un visionnage forcé, affiché des dizaines de fois au même consommateur, il n’a pas d’avenir. Car il n’y pas de publicité plus efficace que celle qui est acceptée et sollicitée par le consommateur. La vidéo est faite pour générer de l'impact, de l'émotion, pour donner envie. Si elle est imposée comme elle l'est aujourd'hui sur internet, ce n'est bon ni pour l'image d'une marque ni pour l'engagement du consommateur. A titre d'exemple, le format Firefly Video nous permet d’atteindre des taux de clic sur vidéo vue 4 à 5 fois supérieur au pré-roll, parfois plus encore. Lorsque le consommateur déclare son intérêt et consomme la publicité volontairement, l’efficacité est au rendez-vous.
RC : En parlant d'efficacité, comment mesurer l'impact des publicités vidéo sur les internautes ?
CD : Par les mêmes moyens que pour un autre format publicitaire : image (adhésion au message, proximité à la marque…), notoriété spontanée ou assistée, couverture sur cible (couverture additionnelle, GRP…), impact sur les ventes, etc. Le marché digital a un gros défaut : il se concentre sur des indicateurs qui n'appartiennent qu'à lui. On devrait regarder la vidéo avec les mêmes yeux qu'un autre format publicitaire et arrêter de se concentrer sur des indices, à savoir : le nombre de vidéos vues, le buzz généré… Tous ces petits indices quantitatifs contribuent aux indicateurs d'efficacité mais ne sont pas des indicateurs en soi, et s'ils procurent une satisfaction importante et très directe à l’annonceur, ils ne sont en aucun cas des indicateurs d’efficacité. Savoir qu'une vidéo a été vue x fois, c'est très bien, mais on ne regarde pas la contribution à l'image, la notoriété, etc. Ou pas assez.
RC : Le 10 avril, l'IAB a dévoilé les nouveaux standards vidéos avec la mise à jour des spécificités VAST (Vidéo Ad Serving Template) et VPAID (Digital Video Player-Ad Interface Definition) et la mise en place du protocole VMAP (Video Multiple Ad Playlist) : quels vont en être les impacts ?
CD : Pour définir un peu les termes, disons que la norme VAST permet d'utiliser un même langage et une même interface entre les players vidéos, les ad servers vidéo et les éditeurs. La norme VPAID permet de diffuser les formats vidéo rich de manière standard. Quand au protocole, il prend en compte les différentes façons de gérer les flux vidéos et les contenus entre un site media, une plateforme de diffusion, un blog. Tout ceci apporte plus de clarté par rapport à la façon dont se distribue le contenu et les programmes vidéos sur internet : tout le monde travaille sur la même base et ça simplifie le marché. Cela redonne également une marge de manoeuvre aux éditeurs qui n'ont plus besoin d'investir dans des développements spécifiques pour gérer une campagne vidéo.
RC : On entend beaucoup parler du pont créé par la vidéo entre la TV et la publicité digitale. Ce format est-il le plus à même de séduire les annonceurs qui communiquent sur les medias traditionnels ? Représente-t-il l'avenir de la publicité sur internet ?
CD : Ce qui est intéressant et fondamental, c'est la multiplication des écrans. Le fait de tout digitaliser va permettre de jouer sur les différents écrans : TV connectée, ordinateur, tablette, mobile. Grâce à la technologie et au numérique il y a bien un pont qui se crée entre différents médias et pas seulement entre la TV et le digital. Désormais, on peut observer la façon dont se séquence une audience tout au long de la journée (à la maison, au travail, en voiture…) et, à travers les différents écrans, on est en mesure de la toucher. Firefly Video existe pour tablette et iPhone : les premiers annonceurs à avoir fait du multi-écrans avec nous sont les constructeurs automobiles. Evidemment, ils ont des budgets importants, des produits complexes et des argumentaires chargés. Mais ils vont être imités même si, dans l'immédiat, toutes les marques ne trouvent pas leur compte dans la vidéo.
RC : Avec Firefly Vidéo, vous vous placez résolument dans la partie « engage ». Pouvez-vous nous expliquer le concept ?
CD : L’engagement est indissociable de Firefly Video et désigne notre capacité à créer des formats propriétaires efficaces, qui permettent d'aller toucher l'audience, de la gérer et de la renvoyer vers les annonceurs de façon plus rapide ou plus complète. Le produit Firefly Video, en particulier, cherche à créer un engagement de l'audience vers les marques. A travers une vidéo, on travaille un impact, une image, une émotion qui doivent déboucher tout de suite sur un passage à l'action de l'audience, donc à de la performance. L'idée de Firefly Video est d'exploiter des emplacements bannières. Dans ces espaces bannières, on diffuse des teasers (campagne bannière initiale de l'annonceur montée différemment et qui suggère que l'on peut aller plus loin avec un bouton play, un coin qui se soulève…). L'objectif est de créer une mécanique qui met en confiance l'internaute et de le pousser, à travers une signalétique précise sur le teaser, à prendre connaissance du message de la marque. Pour cela, on va d'abord aller chercher de l'affinité afin que la vidéo soit consommée par l'internaute. Lorsque le roll-over est complété ou que l'on clique sur ces teasers, le format Firefly complet se déploie et on est dans un univers qui reprend le « look and feel » de l'annonceur. Toutes les options créatives sont possibles. On peut quasiment faire un micro-site entièrement dédié à la marque.
RC : Vous facturez le produit Firefly à l'engagement. Pourquoi ? Qu'est-ce que cela signifie ?
CD : On facture à l'ouverture du format déployé, post-teaser, donc. Pourquoi ? Parce qu'on pense que les consommateurs sont de plus en plus actifs vis-à-vis des marques, en particulier dans le digital. Privilégier l’engagement c’est mettre en valeur quatre fondamentaux du rapport à une marque : l’implication (à travers la consommation volontaire d’un format publicitaire), l’interaction (à travers le temps passé sur ce format), l’intimité (à travers l’affinité et le ciblage) et enfin, l’influence (à travers la viralité et la prescription). Le format Firefly travaille sur ces quatre axes : implication, cela veut dire consommation volontaire ; interaction cela signifie que le temps passé sur le format publicitaire est pris en compte ; intimité, parce qu'on va la traduire à travers l'affinité recherchée en termes de ciblage ; influence, car nous travaillons sur la viralité des vidéos, la prescription, les liens sociaux de la marque… Facturer à l'engagement, c’est garantir à l’annonceur que tous ces processus sont initiés au profit de sa marque.
RC : En parlant d'engagement, comment le mesurez-vous ?
CD : L’engagement lui-même, c'est-à-dire l’ouverture du format, est mesuré une fois par visiteur unique et par jour. Ce mode de facturation revient à délivrer une couverture unique en vidéo vue (1 VU = 1 vidéo vue). Quand on garantit à un annonceur 25 000 engagements, il s'agit de 25 000 visiteurs uniques qui voient une fois la vidéo volontairement. Ensuite, dans nos rapports de campagnes, nous mettons en valeur des indices plus détaillés d’engagement vers la marque tels que : la couverture totale, la couverture additionnelle générée par les teasers, le temps passé sur le format, les différentes zones clics vers le site de l’annonceur ou ses pages sociales, le partage de la publicité et, bien sûr, l’efficacité attendue par rapport aux actions des internautes sur le site de l’annonceur.
RC : Le fait de proposer un tel format n'est-il pas de nature à modifier votre positionnement d'Ad Network pour le transformer en régie Branding ?
CD : J'aime beaucoup cette question car elle reflète réellement l'exception française en matière de publicité digitale. La France est un des derniers bastions dans lequel on fait cette différence entre réseau et régie. Ailleurs l’appelation « ad network » recouvre, en fait, tous les opérateurs de vente d’espace. Pour reprendre votre vocabulaire, nous sommes un « network créatif » et nous nous ancrons dans l’innovation technologique. Alors pour coller à la typologie du marché français, on peut dire que nous souhaitons être partenaire des marques média et les accompagner dans leur recherche de performance et d'innovation technologique.
RC : Les possibilités offertes par le format vidéo en termes de créativité et d'impact sont-elles totalement exploitées ? Que faudrait-il améliorer ?
CD : Quelques annonceurs utilisent au maximum la créativité qu’offre la vidéo, il suffit de regarder ce que TippEx est capable de proposer. C’est une création totalement dédiée au digital et la vidéo sur le web. Cet exemple reste isolé et extrême dans un sens, car on pousse la logique créative à son maximum, mais il fonctionne car il s’appuie sur l’engagement de l’audience par le temps passé et la viralité du format. Tout le monde ne peut pas réaliser des campagnes pareilles, il faut un budget très conséquent, en revanche, il faut s'inspirer de cette créativité et de la liberté donnée à l'internaute. Il ne suffit pas de diffuser, il faut faire passer un message et travailler la mémorisation. Quelle que soit la façon dont on le fait, il faut améliorer l’engagement de l’audience vis-à-vis des marques sous toutes les formes possibles et comprendre qu’une audience qui accepte la publicité de l’annonceur, voire qui la recherche, est la clé du développement et des meilleures pratiques publicitaires. C'est vertueux. Il vaut mieux prendre le risque de voir l'internaute « zapper » une publicité que de s'imposer à l'audience sans arrêt. Avoir trente secondes de publicité pour regarder une minute trente de programme, c'est aberrant, c'est une exagération du modèle TV. La vidéo sera exploitée correctement quand on aura plus de contenu et plus de formats et de systèmes qui privilégient l'engagement.