Dossier AdExchange : Interview Ezakus (Christophe Camborde)
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Ratecard : En 2011, les Ad Exchanges ont constitué LE phénomène dont tout le marché a parlé. Après la découverte, la consolidation ?
Christophe Camborde : On en est encore très loin. Le phénomène est beaucoup trop neuf pour que l'on puisse parler de consolidation. Les éditeurs viennent de s'approprier le sujet et commencent juste à se positionner. Le fait de mettre une partie de leur inventaire sur les ad exchanges entraîne pour eux une certaine réflexion par rapport à leur stratégie de positionnement concernant les inventaires qu’ils vont confier aux outils de transactions. Certains ont peur que ce ne soit pas assez qualitatif et que leur offre soit noyée dans la masse, d’autres ne veulent pas à nouveau perdre le contrôle. D'où le fait qu'il y ait une réelle tendance, en France, à la création de private ad exchanges des le départ là où ce phénomème est plutôt une évolution outre-Atlantique. A fortiori chez les régies ou éditeurs premium dont le rôle sur le marché français est particulièrement important. Ils ne peuvent pas accepter que leurs clients habituels fassent de la performance à moindre coût sur leurs inventaires par exemple.   D'un point de vue plus général, l'avantage des plateformes d'ad exchanges est qu'elles disent beaucoup de choses : on peut connaître précisément la qualité de ce qui est acheté,  les emplacements, ce qui apporte une transparence salutaire par rapport à ce qui se faisait avant (Ad Networks). En fait, le marché devient intelligent. Les ad exchanges vont créer un mid market automatisé qui va permettre de récupérer l'inventaire des réseaux d'une part et de gérer le premium dans une logique privée (au sens protégée) d'autre part. Aujourd'hui, la performance a totalement sa place dans les ad exchanges, ses mécaniques sont installées et elle va progresser. L'aspect qualitatif de certains inventaires viendra dans un second temps avec, à terme, l'idée que l'on puisse acheter de la qualité en masse. Si on regarde l'aspect macro de l'écosystème, on se rend compte que les ad exchanges menacent certes le modèle ad networks et vont le remplacer,  mais ils ne remettent pas en cause la notion de régie premium. Les ad exchanges sont avant tout de formidables outils d'optimisation : les temps des ordres d'insertion envoyés par fax ou mail est révolu. Même si certaines questions liées à la pratique de la publicité digitale demeurent : comment gérer les espaces gratuits, les erreurs, etc.

RC : Pourquoi acheter via les plateformes d'ad exchange ? Est-ce que cela convient à tout le monde ?
C2 : Tout le monde a intérêt à automatiser des transactions et à les simplifier. A conditions que les volumes soient suffisants et que les stratégies d'achat soient construites selon des méthodologies claires et définies. Comme je le disais juste avant, les ad exchanges restent un outil au service du marché. L'intelligence dans l'utilisation de ces outils va venir des experts qui s'en servent. A terme, l'idée est d'utiliser les améliorations  induites par la création de ces plateformes (RTB, gain de temps, optimisation, précision…) pour gérer aussi bien la performance que le branding.

RC : La prolifération des acteurs et la difficulté de savoir qui propose quoi ne risquent-elles pas d'effrayer les annonceurs ?
C2 : C'est une question que l'on maîtrise bien chez Ezakus Labs, puisque Anne-Marie Gaultier-Dreyfus; la présidente du club des annonceurs, est devenue administrateur de notre société. Pour répondre à la question, il y a deux tendances chez les annonceurs. Il y a ceux qui délèguent tout à leur agence media. La question des ad exchanges est, dans ce cas, un sujet d'agence, un sujet de performance, d'optimisation des coûts. Et il y a les annonceurs qui se l'approprient en interne, plutôt des pure players, qui achètent eux-mêmes, qui ont du staff : la questions des ad exchanges est alors un sujet de deal et d'accès à l'inventaire. Si c'est un sujet d'agence media, les annonceurs, en dehors de la question du paiement, se moquent un peu de la manière dont c'est géré du moment où l'on répond à leurs objectifs. Encore une fois, les ad exchanges constituent uniquement un outil technologique qui change les process de travail de ceux qui achètent (ou vendent). Pour les annonceurs qui achètent en direct, oui, cela va les obliger à gérer leurs campagnes différemment et à recruter des profils adéquats.

RC : A votre avis, comment cela va-t-il évoluer dans les années à venir : concentration ou hyper spécialisation des sociétés ?
C2 : Il y a un effet « marché » avec des zones d'opportunité qui se créent. La question est de savoir si ces zones vont permettre de créer des structures solides ou si c'est uniquement temporaire. Les gens qui entrent sur ce marché parient sur le fait que c'est pérenne. Sur la questions de la data, qui concerne directement Ezakus Labs, c'est la même chose. Je ne pense pas qu'on soit face à un phénomène de mode, temporaire. Il y a là un vrai marché avec de vraies spécificités. Et qui a encore besoin d'être amélioré. Aujourd'hui, sur les DSP, on sait ce qu'on achète et à quel prix. Mais on est encore loin d'avoir utilisé toutes les possibilités qu'ils impliquent. Le prochain challenge des DSP sera par exemple de mettre en place plusieurs tours d'enchères. C'est ce que le marché attend d'eux. Si on ne bidde qu'une fois, il n'y a pas de marché. Et pour mettre en place tout ceci, il faut du temps : investissement, logiciel… Nous n'en sommes qu'aux prémices, c'est encore un peu basique. Ce qu'on attend, c'est un inventaire parfaitement décrit, dans un environnement sécurisé. En parallèle, la question de la segmentation de l'audience va également devenir un business à part entière. Les sociétés qui travaillent la data sont encore vues comme des sous-traitants. Ce n'est pas parce qu'on est hyper spécialisé qu'on est des acteurs secondaires, au contraire. A nous de démontrer que l'on a inventé des solutions que les autres n'ont pas. Et si la data demain valait plus cher que le media sur certains types d’inventaires ?

RC : Pourriez-vous nous expliquer le Audience Profiling ? Et son rapport avec la notion de data ?
C2 : Derrière le mot data, ce qui intéresse Ezakus Labs, c'est l'audience : qui regarde la page. Le mot data est polysémique. Il peut aussi bien désigner l'aspect comportemental de l'internaute, ce qu'il fait, que son aspect individuel, qui il est. Ezakus Labs travaille uniquement sur cette deuxième partie : qui est cet internaute. On est en train de créer un réel savoir-faire dans ce domaine et on est en mesure de définir des profils très précis et très à jour dans notre AMP. Tout en respectant la privacy de l’internaute, on peut récupérer les bonnes informations sur son profil et ce dans son propre intérêt.
L’on permet avec notre offre d’AMP de créer des plateformes privées, véritables infrastructures data adaptées à chaque type d’acteur. Notre objectif est de permettre aux acteurs qui ont de l'audience (éditeurs) et aux acteurs qui veulent adresser un message à cette audience (annonceurs) de se positionner avec une base de profils précise et en constante évolution.
Derrière la notion d'audience, derrière il y a la question du parcours sémantique et l'on peut citer François Mauriac (qui était Bordelais) :  « dis moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es ». C'est le parcours sémantique de l'internaute dans les navigateurs que l'on analyse, car c'est lui qui va nous permettre de savoir qui il est.

RC : Ce travail sur le parcours sémantique de l'internaute est donc ce qui fait votre spécificité par rapport à d'autres sociétés spécialisées dans la data ?
C2 : Pas seulement. Cela contribue à nous différencier car c'est une approche  différente de la data, mais ce n'est pas tout. Il ne faut pas éluder le côté  « laboratoire » d'Ezakus Labs. Notre équipe est technologique. 15 personnes, à Bordeaux, travaillent uniquement sur l'aspect recherche et développement de nos services : ingénieurs, mathématiciens, statisticiens.  Sur les 2,2 millions d'euros que nous avons levés, nous allons en investir 2 millions en R&D sur la question de l'audience. Et on ne compte pas se diversifier ou se disperser l’on souhaite se consacrer à une seule activité afin de la faire le mieux possible. On ne veut réaliser qu'une chose mais cette chose a un gros potentiel : on veut participer à la création des « campagnes data » qui sont un nouveau type de campagnes pour qui le critére le plus important est de comprendre qui regarde la page et quelle audience est atteinte.

RC : Vous avez trouvé votre place dans l'écosystème Ad Exchanges dans ce cas ?
C2 : Pour l'instant, pas complètement. La valeur de l'audience est difficilement reconnue. En théorie, la data devrait être le principal élément de prix et non l’occurrence de page du support, ce qui est une pilule difficile à avaler pour les éditeurs ou plutôt un changement de mentalité sur ce qu’ils vendent. Aujourd'hui les datas viennent enrichir les transactions de support digital, sorte de transition du monde du papier au monde virtuel. Pour l'instant, sur le media Internet, personne n'achète 100 000 femmes actives. On achète des emplacements sur un support qui interesse les femmes actives. Ce que Ezakus veut réaliser avec son outil AdProfile, ce sont des campagnes d'audience. Partir de l'audience, comme on le fait sur d'autres médias, c'est fondamental. Quand il existera de vraies campagnes data sur les ad exchanges, alors nous pourrons dire que nous sommes intégrés à l'écosystème. Pas avant. Pour l'instant, on est sous-traitants dans un système où on vend du media avec la data comme discriminant et non de l'audience. Même si l'on commence à parler de data exchanges, cela revient encore, in fine, à optimiser un bid sur un media. Pour qu'il y ait data exchange, il faut partir de l'information, de la donnée et non du support et du message lui même, qui doivent être pensés en conséquence de l'audience que l'on souhaite toucher. Ce qui est crucial en communication, c'est de toucher la bonne cible avec le bon message, le support n'est qu'un moyen d'atteindre cet objectif final. Avec AdProfile, Ezakus Labs va présenter une solution de campagne data, et pas simplement une solution qui va servir à nourrir un DSP ou un SSP. Ca, c'est un autre business, mais ce n'est pas le nôtre. Il y a des campagnes sociales, mobile, vidéo, il y a une place pour des campagnes data : et l'acheteur qui réalise une campagne data pourra se retrouver, au final, avec un pré-roll vidéo, mais à l'origine, ce n'est pas le pré-roll vidéo qu'il veut atteindre, mais la femme active urbaine qui est sa cible.

RC : A qui vous adressez-vous en priorité : aux acheteurs ou aux vendeurs ?
C2 : Chez Ezakus Labs, nous refusons cette séparation entre acheteurs et vendeurs. Au niveau des outils ils n'utilisent pas exatement les mêmes technologies mais ont tous de l’audience. Or l’on s'adresse à tous ceux qui ont de l'audience, c'est à dire à tous les acteurs de l’Internet. On ne travaille ni le message ni le support mais uniquement l'audience. Cela veut dire qu'il faut être capable de gérer le respect de la privacy, et faire la part des choses entre ce qui peut être ou non communiqué. Qu'est-ce que celui qui a un support n'a pas envie de dire, qu'est-ce que celui qui a un message veut garder pour lui ? De quoi il veut bénéficier ? Voilà les questions que l'on se pose. Avec, en arrière fond, l'idée d'évangéliser un peu le marché pour faire comprendre aux acteurs que la data, ça se partage selon un modèle de contribution réciproque. Personne n'aime partager sa data mais il va falloir le faire pour rentrer dans des notions d’enrichissement via l’apport externe, et cela sera bénéfique pour tout le monde.

RC : La publicité digitale, vous la voyez comment dans un an ?
C2 : J'espère qu'il va y avoir beaucoup de nouveaux annonceurs. En 2011, la moitié des annonceurs qui annonçaient dans le display le faisait pour la première fois. Ce n'est qu'un début et j'espère qu'en 2012, cette tendance va s'accentuer. De ce fait, le marché web en place avec des annonceurs qui veulent de la performance en ligne seulement va changer. Il faut qu'on soit à l'écoute de ces nouveaux annonceurs qui sont moins webcentric. Les règles actuelles que les spécialistes du média ont mises en place ne leur correspondent pas forcément et vont devoir évoluer. Il faut parler un langage qu'ils comprennent et s'adapter à eux. Comment les intégrer ? Va-t-on leur donner nos règles de geeks ou va-t-on écouter leurs règles business? Il faut faire en sorte que ces nouveaux annonceurs se sentent bien sur internet sinon notre marché ne progressera plus à la même vitesse. Chez Ezakus Labs, nous sommes profondément technologiques, mais on a tous travaillé, à un moment de notre carrière, chez des annonceurs du monde réel. Et ça, on ne va pas l'oublier. On vient de se créer, on est nouveaux, avec un regard neuf mais on a observé le marché. C'est une chance pour nous. Ce marché change tout le temps, c'est ce qui fait sa richesse, et ce n'est pas parce qu'on l'intègre maintenant que l'on n'est pas légitime puisqu'il n'a rien à voir avec ce qu'il était il y a deux ans.  On arrive à un moment charnière : les réseaux sociaux (nouvelle communication), le mobile (nouveaux écrans), la vidéo (support de meilleur qualité et nouvelles campagnes), le RTB (change la manière d'acheter et vendre) bouleversent tout. En tant que nouveaux entrants, on n'a pas à repenser nos lignes de revenus et nos ressources humaines en fonction des plateformes automatisées, puisqu'on part en connaissance de cause et qu'on intègre, de facto, cette couche technologique. Et pour le coup, on sait ce que l'on fait.


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